Professeur | Elève
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2. Trois témoignages sur la « libération » d’Auschwitz-Birkenau


2a. Extrait d’André Rogerie, Déporté, témoin des crimes nazis contre l’humanité

commencé une offensive foudroyante. Le 17 juin 1945, le SS de la cuisine nous annonce qu’il faudra fournir pour le lendemain la nourriture à emporter pour un très grand nombre de prisonniers du camp1 . C’est l’évacuation, c’est la fuite ...Birkenau vit ses derniers jours.

Le 18 janvier, nous quittons le camp à pied, encadrés par les SS. Dans la neige, nombreux sont les cadavres d’hommes et de femmes qui sont tombés là, exténués ou abattus, mais toujours achevés. L’ordre est ainsi, personne ne doit tomber vivant dans les mains de l’ennemi2 . Après deux journées de marche, nous arrivons dans une petite gare.

Pendant trois jours et trois nuits le train roule. Il neige et nous sommes tassés dans un wagon sans toit. Nous arrivons au camp de Gross-Rosen. Nous y restons trois semaines puis repartons dans des conditions aussi pénibles jusqu’à Nordausen. Nous y passons fin février. Chaque jour arrivent de nouveaux évacués. Le camp double, triple puis quadruple son effectif. La nourriture est très insuffisante. La région est bombardée par les Américains.

Début mars, je fais partie d’un « transport » à nouveau à pied, à destination de Dora où j’ai séjourné un an plus tôt. Deux jours après, je pars pour Harzungen. Le 1er avril, nous entendons l’explosion des bombes toutes proches : Nordhausen est violemment bombardé par les avions alliés.

Il faut aussi partir devant l’avance des Américains. Nous marchons, nous marchons, trente kilomètres par jour sans manger. J’avance péniblement, sale et maigre, pieds nus. J’arrive le 11 avril dans un petit village à douze kilomètres de Magdebourg. Tout à coup, une violente explosion retentit. Les SS se croient cernés par les Américains. Personne ne fait plus attention à nous. Nous restons en arrière et nous nous retrouvons « libres » sur la route. Nous nous cachons dans les campagnes. Deux jours après, les Américains arrivent ... Le cauchemar s’achève enfin le 13 avril 1945. »

1 A. Rogerie travaille alors à la cuisine.
2 Les SS voulaient détruire toutes les preuves et, par conséquent, ils ne laissaient aucun survivant pour témoigner.

Source: Extrait d’André Rogerie, Déporté, témoin des crimes nazis contre l’humanité, 1943-1945, BT Histoire, PEMF, 1994 (p. 31).

2b. Extrait de Primo Levi, Si c’est un homme

« 24 janvier. La liberté. La brèche dans les barbelés nous en donnait l'image concrète. A bien y réfléchir, cela voulait dire plus d'Allemands, plus de sélections, plus de travail, ni de coups, ni d'appels, et peut-être, après, le retour.

Mais il fallait faire un effort pour s'en convaincre, et personne n'avait le temps de se réjouir à cette idée. Autour de nous, tout n'était que mort et destruction.

Face à notre fenêtre, les cadavres s'amoncelaient désormais au-dessus de la fosse. En dépit des pommes de terre, nous étions tous dans un état d'extrême faiblesse : dans le camp, aucun malade ne guérissait, et plus d'un au contraire attrapait une pneumonie ou la diarrhée; ceux qui n'étaient pas en état de bouger, ou qui n'en avaient pas l'énergie, restaient étendus sur leurs couchettes, engourdis et rigides de froid, et quand ils mouraient, personne ne s'en apercevait.

Les autres étaient tous effroyablement affaiblis : après des mois et des années de Lager, ce ne sont pas des pommes de terre qui peuvent rendre des forces à un homme (...)


25 janvier (...) Dehors, c'était toujours le grand silence. Le nombre des corbeaux avait beaucoup augmenté, et nous savions tous pourquoi. Le dialogue de l'artillerie ne revenait plus que de loin en loin.

Nous nous répétions l'un l'autre que les Russes n'allaient pas tarder à arriver, qu'ils seraient là demain ; tout le monde le proclamait bien haut, tout le monde en était sûr, mais personne ne parvenait à se pénétrer sereinement de cette idée. Car, au Lager, on perd l'habitude d'espérer, et on en vient même à douter de son propre jugement. Au Lager, l'usage de la pensée est inutile, puisque les événements se déroulent le plus souvent de manière imprévisible ; il est néfaste, puisqu'il entretient en nous cette sensibilité génératrice de douleur, qu'une loi naturelle d'origine providentielle se charge d'émousser lorsque les souffrances dépassent une certaine limite.

Comme on se lasse de la joie, de la peur, et de la douleur elle-même, on se lasse aussi de l'attente. Arrivés le 25 janvier, huit jours après la rupture avec le monde féroce du Lager — qui n'en restait pas moins un monde —, nous étions pour la plupart trop épuisés même pour attendre (...)


27 janvier. (...) Les Russes arrivèrent alors que Charles et moi étions en train de transporter Somogyi3 à quelque distance de là. Il était très léger. Nous renversâmes le brancard sur la neige grise.

Charles ôta son calot. Je regrettai de ne pas en avoir un (...) »

3 Chimiste hongrois mort le 26 janvier.

Source: Extrait de Primo Levi, Si c’est un homme, traduit de l’italien par Martine Schruoffeneger, Julliard, 1987 (pp.181-186).

2c. Extrait du général Vassili Petrenko, Avant et après Auschwitz

« Le matin du 27 janvier 1945, nos troupes ont libéré Auschwitz et Birkenau, deux énormes camps de concentration. (...) Le commandant de la 100ème division qui avait pris Auschwitz la veille, m’a appelé et demandé de venir (...) On m’a amené sur le territoire du camp. Il tombait une légère neige, qui fondait immédiatement (...) Des détenus émaciés, en vêtements rayés, s’approchaient de nous et nous parlaient dans différentes langues. Même si j’avais vu bien des fois des hommes mourir au front, j’ai été frappé par ces prisonniers transformés par la cruauté jamais vue des nazis en véritables squelettes vivants.

J’avais bien lu des tracts sur le traitement des Juifs par les nazis, mais on n’y disait rien de l’extermination des enfants, des femmes et des vieillards. Ce n’est qu’à Auschwitz que j’ai appris le destin des Juifs d’Europe. C’était le 29 janvier 1945.

Les déportés se déplaçaient sur le territoire du camp en combinaisons à rayures. Deux d’entre eux se sont arrêtés, se sont mis à sourire et à battre des mains en regardant mon étoile de héros de l’Union soviétique. Ils venaient de Belgique. Je me souviens également de deux femmes. Elles se sont approchées de moi, m’ont embrassé. Ces gens pouvaient encore sourire, mais il y en avait qui ne pouvaient plus que tenir debout en silence : des squelettes vivants, pas des hommes.

A Auschwitz, on m’a montré la baraque des femmes, séparée des autres. Sur le sol, il y avait du sang, des excréments, des cadavres : un terrible tableau. Il était impossible d’y rester plus de cinq minutes, à cause de la terrible odeur des corps en décomposition. Debout près des portes, j’ai dit:

‘’ Oui, il est impossible de rester longtemps ici ‘’. »

Source: Extrait du général Vassili Petrenko, Avant et après Auschwitz, traduit du russe par François-Xavier Nérard, Flammarion, 2002.

Questions

  1. Qui a libéré les camps d’Auschwitz ? A quelle date ?
  2. Tous les prisonniers de ces camps, encore vivants en janvier 1945, ont-ils alors été libérés ? Pourquoi ? Quand André Rogerie est-il « libéré » ? Par l’armée de quel pays ?
  3. Que nous apprennent les témoignages de Primo Levi et du général Petrenko sur l’état physique et moral des prisonniers.
  4. A l’aide d’une encyclopédie ou d’Internet fais une recherche sur l’histoire des camps d’Auschwitz-Birkenau.

Voir les réponses aux questions dans l'onglet "professeur".


Présentation du contexte historique et analyse

Ces textes sont trois récits autobiographiques :

  • Le premier texte est extrait d’un album conçu par le général André Rogerie à partir de Vivre c’est vaincre rédigé en 1945 et de rencontres avec des élèves en 1991. L’ouvrage est illustré de photographies, de cartes et de dessins de David Olère. André Rogerie, âgé de 21 ans, a été arrêté par la Gestapo, le 3 juillet 1943 à Dax alors qu’il essayait de rejoindre les FFL en Afrique du Nord. Il a été interné, puis déporté, fin octobre 1943, dans les camps de Buchenwald, Dora, Maïdanek et à Auschwitz-Birkenau, le 18 avril 1944. Au cours des marches de la mort, il passe par les camps de Gross-Rosen, Nordhaussen, Dora à nouveau, puis Harzungen. Il s’évade de la colonne le 12 avril 1945 dans la région de Magdebourg.
  • Le deuxième texte est extrait des dernières pages du livre de Primo Levi, Si c’est un homme. Arrêté en 1943 comme résistant, Primo Levi est déporté à Auschwitz. Assigné au camp de Monowitz (Auschwitz III), sa formation de chimiste lui permit d’échapper aux travaux les plus épuisants. Malade de la scarlatine, lors de l’évacuation du camp par les SS, il échappa aux « marches de la mort » et assista à la libération du camp par les armées soviétiques. Il fut chargé en 1945 de rédiger pour les Alliés un rapport sur le fonctionnement du camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau. Il publia en 1947, en Italie Se questo è un uomo qui ne fut traduit en français que quarante ans plus tard. Dans ce récit autobiographique, Primo Levi décrit le processus de « déshumanisation » et analyse en scientifique les relations sociales internes au camp.
  • Le troisième texte est extrait des mémoires de Vassili Petrenko, général soviétique, commandant de la 107ème division d’artillerie lors de la libération des camps d’Auschwitz et de Birkenau. Devenu historien, il montra que si les armées soviétiques ont permis grâce à leur héroïsme de sauver quelques milliers de survivants, la libération des camps d’extermination ne fut pas un objectif stratégique : « le commandant du front, le maréchal Koniev, n’avait reçu aucune information de la part de Staline. Celui-ci ne lui avait pas non plus donné l’ordre de libérer ce camp de concentration ou de sauver la vie de ses prisonniers ... Les vies épargnées auraient pu être beaucoup plus nombreuses si les dirigeants soviétiques, mais aussi les Américains et les Britanniques, avaient fixé de tels objectifs à leurs armées4. »

4 Préface d’Ilya Altman.

Le plus grand centre de mise à mort Cliquer pour agrandir l’image
Source: In Annette Wieviorka, « Le plus grand centre de mise à mort », L’Histoire n°294, janvier 2005.

Liens

  • http://www.cercleshoah.org L’association Cercle d’étude de la Déportation et de la Shoah-Amicale d’Auschwitz a été créée par l’Amicale des Déportés d’Auschwitz et des camps de Haute Silésie, aujourd’hui UDA, Union des déportés d’Auschwitz et des professeurs d’Histoire, pour développer l’enseignement de l’Histoire de la déportation et de la Shoah dans sa dimension universelle, assurer le relais entre les anciens déportés et les jeunes générations, inciter à la réflexion sur l’actualité de la défense des droits de l’Homme.

Réponses aux questions

  1. L’Armée Rouge (armée soviétique) a libéré le camp d’Auschwitz-Birkenau le 27 janvier 1945.
  2. Seule une minorité des prisonniers a été libérée, car les SS ont, face à l’avancée soviétique, « évacué » le camp poussant devant eux les survivants lors des « marches de la mort ». Des déportés à Auschwitz qui survécurent à ces marches ne furent pas libérés avant le mois de mai 1945 après avoir, comme André Rogerie, été internés dans d’autres camps situés plus à l’ouest.
  3. Les témoignages de Primo Levi et du général Vassili Petrenko expriment l’état des survivants : « Face à notre fenêtre, les cadavres s'amoncelaient désormais au-dessus de la fosse. En dépit des pommes de terre, nous étions tous dans un état d'extrême faiblesse : dans le camp, aucun malade ne guérissait, et plus d'un au contraire attrapait une pneumonie ou la diarrhée; ceux qui n'étaient pas en état de bouger, ou qui n'en avaient pas l'énergie, restaient étendus sur leurs couchettes, engourdis et rigides de froid, et quand ils mouraient, personne ne s'en apercevait. Les autres étaient tous effroyablement affaiblis : après des mois et des années de Lager, ce ne sont pas des pommes de terre qui peuvent rendre des forces à un homme. » (P. Levi)
    « Ces gens pouvaient encore sourire, mais il y en avait qui ne pouvaient plus que tenir debout en silence : des squelettes vivants, pas des hommes. » (Vassili Petrenko)
  4. Le 27 avril 1940, Himmler décida d’installer dans les faubourgs d’une petite ville de Haute-Silésie, Oswiecim, un camp destiné à participer à l’élimination des élites polonaises. A la fin de 1941, les deux-tiers des 25 000 Polonais arrivés depuis juin 1940 avaient disparu. Pendant l’été 1941 arrivèrent les prisonniers de guerre soviétiques. A partir de 1942, commencèrent les transferts massifs de Juifs déportés du Reich, de Pologne, de Hongrie, de France, des Pays-Bas, de Belgique, de Grèce, d’Italie, de Croatie, de Norvège. En février 1943, des Tsiganes furent enfermés dans le camp de Birkenau. Dans la nuit du 1er au 2 août 1944, 2897 Tsiganes « inaptes au travail » furent gazés. Des « politiques » ont aussi été transférés à Auschwitz.
    Plus de 400 000 personnes ont été « immatriculées ». Parmi elles, 150 000 à 240 000 sont mortes. Environ 1 000 000 000 Juifs ont été assassinés, dès leur arrivée, sans avoir été immatriculés, dans des installations de gazage qui fonctionnaient avec le Zyklon B.
    Après l’échec de la guerre éclair en URSS, les nazis ne purent plus compter sur la main d’œuvre soviétique pour laquelle le camp de Birkenau avait été construit. Les Juifs y remplacèrent les Soviétiques. Auschwitz remplit pour les nazis deux fonctions : assassiner immédiatement dans les chambres à gaz ceux qu’ils jugeaient « inaptes au travail » et exploiter jusqu’à la mort les autres qui sont enregistrés et à qui un numéro est tatoué sur le bras. Ce choix fut motivé par la situation d’Auschwitz dans le réseau ferroviaire européen et par son immensité qui permettait l’isolement et le camouflage de cette industrie de mort5.
    « A l’été 42, de nouvelles installations couplant crématoires et chambres à gaz sont commandées ... En 1943, Auschwitz-Birkenau a pris sa vraie dimension, une dimension inouïe par l’énormité des « masses » à traiter. Auschwitz, à cette date, n’est pas le seul centre de mise à mort administré par les nazis : on assassine aussi à Belzec, à Sobibor ... (cf. carte). Mais il est le plus grand centre de destruction des Juifs d’Europe, et c’est celui qui fonctionnera le plus longtemps, pratiquement seul pendant l’année 1944 ... En mai 1944, les Juifs hongrois commencent à arriver en nombre si considérable (un tiers au moins des Juifs assassinés à Auschwitz étaient hongrois) que la machine s’affole. En 54 jours, au printemps 1944, 154 trains amènent 437 000 hommes, femmes et enfants. Ce sont les semaines où la libération du nazisme semble prochaine ... En novembre 1944, sur ordre de Himmler, les installations d’Auschwitz sont détruites à la hâte. Ce qui ne signifie pas qu’on cesse d’y mourir.»6
    Selon les travaux de Franciszek Piper7, 1 300 000 personnes ont été déportées dans les camps d’Auschwitz. Parmi elles, 1 100 000 y sont mortes : environ 1 000 000 de Juifs, 70 000 Polonais, 21 000 Tsiganes, 15 000 prisonniers soviétiques, 10 à 15 000 prisonniers d’autres nationalités (Tchèques, Yougoslaves, Français, Allemands, Autrichiens). Dans le cas de la France, soixante-neuf convois (chaque convoi déportant environ 1000 Juifs de France) furent dirigés à Auschwitz entre mars 1942 et août 1944 ainsi que trois convois de prisonniers politiques (6 juillet 42, 24 janvier 43, 27 avril 44).

5 Claudine Cardon, « Auschwitz » in La déportation. Le système concentrationnaire nazi, Paris, Musée d’histoire contemporaine/ BDIC, 1995 (pp.90 et sq.).
6 Annette Wieviorka, « Le plus grand centre de mise à mort », L’Histoire n° 294, janvier 2005.
7 Franciszek Piper, « The number of victims », Auschwitz t. III, Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau, 2000 (pp205-231).