2. Photographies d’amateurs
2a. Concours de photographies de guerre : « Les Français attaquent, les Allemands se rendent... », parue dans l’hebdomadaire Le Miroir du dimanche 27 juin 1915
Lexique
Shrapnell : du nom de son inventeur à la fin du XVIIIe siècle, Henry Shrapnell, le shrapnell est un obus rempli d’un mélange de poudre et de billes métalliques projetées à l’explosion, utilisé principalement contre l’infanterie. Le terme est très souvent utilisé par extension de façon impropre pour désigner la fragmentation en nombreux éclats des obus lors de l’explosion.
Présentation
Dans le numéro du 14 mars 1915, Le Miroir, lance le Concours des Photographies de Guerre. Le concours s’adresse aux photographes amateurs (article 2) « auteurs des plus saisissantes photographies de la Guerre ». Les clichés doivent être récents et porter « des indications précises relatives à la date, au lieu et au sujet de chacun des clichés » (article 6).
En mai 1915, Le Miroir, lance en parallèle un concours mensuel, doté de trois prix, destiné aux photographes amateurs en exigeant l’absence de trucage (Le Miroir, 23 mai 1915, p. 3) et des garanties d’authenticité .
Prises lors des offensives menées au printemps et à l’été 1915 en Artois, près du plateau de Notre-Dame-de-Lorette, les photographies ne « disent » rien de plus que les conditions du reportage photographique et contribuent à mettre en place les stéréotypes de la représentation du champ de bataille : no man’s land et paysages dévastés, tranchée, assaut, mort omniprésente...
Questions 2a
2b. Photographie « Attaque d’une tranchée à coups de grenades », parue dans l’hebdomadaire Le Miroir du dimanche 1er août 1915
Légende de la photographie
« Nos soldats se dissimulent et disparaissent dans leur tranchée sous les projectiles »
« Dans la lutte de tranchées, les grenades, de modèles très divers, jouent un rôle de plus en plus important. Ces deux curieux instantanés ont été pris de notre première ligne tandis que nos soldats, blottis dans une tranchée transversale, attaquaient l’ennemi caché sous les arbres que l’on aperçoit au fond. Sur la première on voit l’éclatement d’une grenade. Sur la seconde, les Français tapis dans leur trou se protègent contre l’explosion d’un obus. La position ennemie a été enlevée, fortifiée et conservée. »
Présentation
À travers le récit en images de la bataille, le lecteur fait l’expérience de la bataille ; au milieu des fumées d’obus et de grenades, qui masquent une grande partie du champ, il partage l’héroïsme et la peur des attaquants, et, évidemment, la victoire finale : « La position ennemie a été enlevée, fortifiée et conservée ».
Questions 2b
2c. Photographie « Des combattants sortis d’un mauvais rêve », parue dans l’hebdomadaire Le Miroir du dimanche 22 août 1915
Légende de la photographie
« Ces visages métalliques leur donnent un aspect comique et effrayant »
« De tout temps, les peuples primitifs partant en guerre, se sont masqués hideusement pour effrayer l’ennemi et, en voyant ces soldats d’aujourd’hui, on se croirait revenu aux pratiques de notre préhistoire. Il s’agit toujours des gaz asphyxiants, et cette photo fait suite à celles que nous avons déjà publiées. Ici, le masque contenant le tampon imbibé d’hyposulfite est en aluminium. Ainsi équipés, les soldats ont l’aspect de personnages fantastiques tels que notre imagination en voit dans les cauchemars. »
Lexique
Hyposulfite : à partir d’avril 1915, dans le secteur d’Ypres, l’armée allemande emploie du chlore comme gaz suffocant, à partir de juin et de juillet différents gaz toxiques irritants et à partir de juillet 1917, entre autres, l’ypérite (sulfure d’éthyle dichloré) ou « gaz moutarde ». L’hyposulfite de sodium, neutralisant du chlore, permet de confectionner des tampons imbibés qui, associés au port de lunettes, permettent de protéger les soldats.
Présentation
Cette photographie est emblématique de la recherche par la presse de l’image originale, du sensationnel. A travers des expressions comme « peuples primitifs », « pratiques de notre préhistoire », la légende s’inscrit dans les débats scientifiques et populaires de l’époque sur la civilisation et la race. Dans le même temps, la photographie, dans sa mise en scène irréaliste, signifie fortement les difficultés du quotidien dans les villes détruites comme les horreurs de la guerre dans l’emploi des gaz par les belligérants.
Questions 2c
Présentation du contexte historique et analyse
L’idée de contribution des lecteurs, de concours, d’interaction avec le public appelé à fournir des illustrations ou des textes pour les journaux n’est pas nouvelle en 1914. Avant la création de la Section photographique de l’armée, la presse illustrée manque de documents susceptibles de répondre à l’attente de son lectorat. Si Le Miroir achète des photographies à la SPA, ce n’est pas l’essentiel des photographies publiées. Selon Joëlle Beurier (op. cit. p. 22), entre le mois de mai 1915 et la fin de septembre 1917, Le Miroir a acheté 233 photographies à la SPA alors qu’il publie plusieurs milliers de photographies dans le même temps.
Dans Le Miroir, comme dans les autres illustrés, le mois d’août 1914 est plus illustré par la mobilisation que par les images du front, souvent d’ailleurs des images arrangées d’exercice, dont tout lecteur perspicace ou photographe amateur peut immédiatement déceler le caractère factice par la prise de vue en plongée qui met le photographe complètement à découvert.
Dans le numéro du 14 mars 1915, Le Miroir, lance le Concours des Photographies de Guerre. Le concours s’adresse aux photographes amateurs (article 2) « auteurs des plus saisissantes photographies de la Guerre ». Les clichés doivent être récents et porter « des indications précises relatives à la date, au lieu et au sujet de chacun des clichés » (article 6). Le Miroir prévoit de « décerner, à la fin des hostilités, le 1er Prix de 30.000 fr. à la meilleure Photo parue depuis le début de la Guerre »
En mai 1915, Le Miroir, lance en parallèle un concours mensuel doté de trois prix respectivement de 1000, 500 et 250 francs. Dans l’annonce, il est précisé :
« Nous rappelons aux photographes amateurs que nous n’admettons ni scènes arrangées ni trucages photographiques d’aucune sorte et que nous réclamons d’eux, pour publier leurs photographies, toutes les garanties possibles d’authenticité et d’origine ». Le Miroir, 23 mai 1915, p. 3.
Ainsi Le Miroir publie dans le numéro 75, daté du 2 mai 1915, « La photographie de guerre payée le plus cher [...] Elle fut prise à la fin de septembre 1914 par un sous-lieutenant de dragons qui fixa sur la plaque le moment exact où un obus tombait entre deux lignes de cavaliers à pied [...] ». Le numéro suivant l’attribution du prix, où la photographie est de nouveau publiée, reproduit le texte de la lettre du « lieutenant de dragons, auteur de la photographie » qui précise les conditions de prise de vue :
« C’est fin novembre 1914, écrit-il, que les dragons exécutèrent cette charge, peu de jour après avoir été dotés de la baïonnette. Ils avaient reçu la mission d’occuper un bois où se trouvait l’ennemi ; il était environ 15 heures, temps affreux, les prés tout remplis d’eau. Tout en courant, j’avais préparé mon appareil pour photographier cette première charge des dragons armés de baïonnette, lorsqu’un obus éclata en avant de moi, à peu de distance, tuant deux hommes que l’on voit à terre sur la photo. J’eus le temps de presser sur le bouton de l’objectif à l’instant de l’éclatement et, continuant la charge, je ne songeai à tourner le rouleau qu’à la fin de la journée, après la conquête du bois. »
On aura remarqué les approximations sur le grade, la date et la technique.
Tous les « photographes amateurs [...] seuls admis à prendre part [au] concours » ne le sont évidemment pas, mais certains amateurs font de multiples envois comme Blaise Cendrars (voir document 3) et le plus connu d’entre eux, le sergent René Pilette, collabore régulièrement avec la presse (voir Joëlle Beurier, « L’apprentissage de l’événement », Études photographiques, n° 20, juin 2007, p. 68-83: http://etudesphotographiques.revues.org/index1162.html).
Hors de leur légende, qui les situe, près du plateau de Notre-Dame-de-Lorette, lors des offensives menées au printemps et à l’été 1915 en Artois et identifie le bataillon de chasseurs à pied, les photographies du document 2a ne « disent » rien. Elles posent cependant très nettement les conditions du reportage photographique et contribuent à mettre en place les stéréotypes de la représentation du champ de bataille : no man’s land et paysages dévastés, tranchée, assaut, mort omniprésente, implicite, suggérée ou montrée jusque dans ses détails les plus horribles.
Non situées et non datées, les deux photographies du document 2b ont moins pour objectif d’informer le lectorat de l’arrière – la page 3 de l’hebdomadaire donne jour par jour les nouvelles des différents fronts - que de lui donner à voir et à partager l’action au plus près de celle-ci. L’emploi du déroulé chronologique en plusieurs images, avec effet de travelling, malgré la différence de taille des tirages, la mise en séquences d’images, notamment des explosions, la fumée plus ou moins rapprochée, concourent à projeter le lecteur à la place du photographe, juste en arrière de l’action que la légende lui permet de s’imaginer. À travers le récit en images de la bataille, le lecteur fait l’expérience de la bataille ; au milieu des fumées d’obus et de grenades, qui masquent une grande partie du champ, il partage l’héroïsme et la peur des attaquants, et, évidemment, la victoire finale : « La position ennemie a été enlevée, fortifiée et conservée ». Dans la narration en images, le vocabulaire de la légende de la photographie se fait essentiellement descriptif, tous les qualificatifs de l’ennemi ont disparu, il n’est plus question, sous forme neutre, presque topographique, que de « la position ennemie ».
La photographie du document 2c est emblématique de la recherche par la presse de l’image originale, du sensationnel, un rien humoristique, voire ironique – « peuples primitifs », « pratiques de notre préhistoire » – à une époque où les notions de « primitifs », de « degré de civilisation », de « hiérarchie raciale », etc. partagent les débats scientifiques autant que populaires. Il est possible aussi d’y déceler, comme pour les images de corps déchiquetés, décomposés, partiellement ensevelis, nombreuses à partir de 1916 dans Le Miroir, la relativité de la censure exercée par le Bureau de la Presse comme par l’armée. Mais, dans le même temps, la photographie, dans sa mise en scène irréaliste, signifie fortement les difficultés du quotidien dans les villes détruites comme les horreurs de la guerre dans l’emploi des gaz par les belligérants.
Questions 2a
- Comment l’hebdomadaire se procure-t-il des documents directs du front ?
Voir la présentation des documents.
- Quelles sont les exigences de l’hebdomadaire pour garantir l’authenticité des épreuves ?
Voir la présentation des documents.
- Quelle est la position du photographe et que nous donne-t-il à voir du champ de bataille ?
La prise de vue à raz du sol, en légère contre plongée sur la première épreuve, semble suggérer que le photographe participait à l’action légèrement en retrait dans le no man’s land entre les deux tranchées adverses et dans la deuxième photographie qu’il se trouve dans un autre boyau. La deuxième photographie notamment semble avoir été retouchée à plusieurs endroits.
- Pourquoi l’hebdomadaire publie-t-il les épreuves obtenues par contact à côté de l’agrandissement ?
Le contact de l’épreuve surajouté à l’agrandissement pour la publication est censé apporter la véracité. Mais déjà le panoramique laisse planer un doute sur les conditions techniques de telles photographies dans l’action.
- Relever les indices qui montrent que ces photographies ont peut-être été arrangées à la pose ou retouchées au tirage.
L’obus, les bérets, l’attitude des Allemands qui se rendent...
- Est-ce un garant de l’authenticité et de la documentation (la légende parle de « documents ») fidèle de la situation sur le front ?
Voir la présentation.
Questions 2b
- En quoi ce récit photographique constitue-t-il un témoignage ?
Voir la présentation.
- Quels sont les procédés utilisés dans la maquette de cette page pour créer l’empathie avec les combattants et faire saisir la réalité du combat ?
Quelles que soit la proximité de l’action et l’implication du photographe dans celle-ci, les photographies de la Première Guerre mondiale ne permettent pas de voir l’affrontement de deux armées au combat comme y avaient habitué les tableaux et les gravures de bataille. En présentant le déroulement chronologique d’une attaque, la mise en page permet d’évoquer les différences phase de l’action et de conduire le lecteur à se projeter à la place du photographe en reconstituant par l’imagination les scènes intermédiaires. La différence de taille des images qui montrent un déplacement en avant du photographe ne joue alors que comme une focalisation. Le Miroir développe ce type de séquences photographiques, dont Joëlle Beurier (op. cit. p. 67) présente l’intérêt : « La juxtaposition des clichés d’une même action, associée au récit déroulé par les légendes, compose un discours narratif qui possède sa temporalité propre, laquelle immerge le lecteur dans l’espace du champ de bataille et dans le temps du bombardement. Le lecteur devenu spectateur, est ensuite transporté par l’effet du photoreportage sur les lieux mêmes où se déroule l’Histoire. Les frontières entre front et arrière sont ainsi abolies par le truchement de documents de première main. Ce type de discours photographique propose plus que l’illusion de la vie. Il autorise la fusion des rôles, la disparition des frontières, et plus particulièrement des limites du langage pour communiquer l’une des expériences les plus dures du conflit : le bombardement. »
- Le recadrage des images, notamment en hauteur, dans cette mise en séquence, fait-il sens pour un lecteur de 1915 ? Pour un lecteur d’aujourd’hui ?
Voir question précédente.
Questions 2c
- Quels sont les indices qui montrent que la photographie est posée et arrangée ?
En dehors bien sûr de la position du photographe (angle de prise de vue, cadrage...), la position de plusieurs des soldats et la tenue de leurs armes sont invraisemblables. Cela n’enlève pourtant rien à la valeur de témoignage de la photographie sur les destructions, les combats au milieu des ruines, l’utilisation des gaz et la protection contre ceux-ci.
- En quoi une telle photographie apporte-t-elle cependant aux lecteurs de 1915, comme aux lecteurs d’aujourd’hui, de précieuses informations sur les conditions de la guerre ?
Voir question précédente.
- Quelle vision de la guerre les champs lexicaux du rêve et du primitivisme guerrier, dans le titre et la légende de la photographie, développent-il ?
La Première Guerre mondiale transgresse toutes les représentations qu’on se faisait alors de la guerre. Les conditions de vie des soldats et des civils dans les zones touchées par les destructions sont alors inimaginables, elles dépassent l’entendement des hommes civilisés, mais on peut voir aussi dans ce commentaire un rien ironique l’étonnement face à une certaine impréparation des troupes pour répondre aux inventions de l’adversaire. Le Miroir est assez coutumier de ce genre d’approche qui va quelquefois jusqu’à mettre en évidence l’incurie de l’intendance.
Légende de la photographie
« Instantanés pris devant le plateau de Notre-Dame-de-Lorette durant les derniers combats et agrandis soixante fois. A droite, les petites épreuves originales, obtenues par contact direct »
« Les photographies retraçant des scènes de combat sont extrêmement rares et forcément très imparfaites, l’opérateur ne disposant ni du temps nécessaire, ni des moyens voulus pour obtenir un document suffisamment net et bien éclairé. Il est déjà merveilleux qu’un combattant exposé aux balles et aux shrapnells, garde assez de sang-froid pour songer à faire de la photographie quand la mort le frôle de toutes parts. Ces deux curieux documents ont été pris à quelques heures d’intervalle, pendant les violents combats qui viennent d’être livrés dans la région d’Arras. Le premier montre une charge à la baïonnette, nos soldats s’élançant au pas de course, courbés sous la mitraille, en se protégeant tant bien que mal avec leurs sacs, contre les shrapnells qui, souvent, éclatent au-dessus d’eux. Sur le second, pris d’une tranchée avancée, on distingue quatre Allemands délogés de leurs taupinières par nos obus et qui viennent se constituer prisonniers. L’un d’eux, à gauche, lève les bras pour montrer qu’il n’a pas d’armes. Au premier plan, des alpins dans la tranchée les attendent placidement. »